Voilà une question courante pour tout soignant confronté à des patients douloureux chroniques. Un regard critique sur l’évolution des textes officiels encadrant l’activité des structures d’étude et de traitement de la douleur (SETD) pourrait peut-être permettre non pas de trouver une ou des réponses à cette question mais plutôt de comprendre pourquoi cette question peut refaire surface en 2014. La douleur est définie par l’Association Internationale pour l’Étude de la Douleur (IASP, 1976) comme «une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage». Il faut distinguer la douleur aiguë, symptôme d’une lésion, de la douleur chronique, qui est une maladie à part entière. On parle de syndrome douloureux chronique après un délai d’évolution de 3 à 6 mois. Comme le souligne très nettement l’IASP la douleur est également une expérience psychologique. Ainsi, l’association douleur chronique et souffrance morale est fréquente, avec au long cours chez certains patients l’installation de cercles vicieux témoignant d’une souffrance globale. Il est bien connu aujourd’hui que de telles difficultés non prises en charge vont largement interférer avec l’antalgie passant du statut de conséquences de la douleur à celles de causes et/ou d’entretien de celle-ci. C’est pour évaluer et traiter cette complexité que les SETD ont vu le jour vers la fin des années 90. Avec le dernier plan gouvernemental douleur 2006—2010 le ministère de la santé a choisi de renforcer les ressources humaines des SETD par une augmentation des financements MIG (missions d’intérêt général) de 9,5 millions d’euros par an à répartir sur l’ensemble du territoire national. En région Centre, l’agence régionale de santé (ARS) a choisi d’intégrer la question de la répartition des moyens humains aux réflexions en cours avec les représentants des SETD dans le cadre de l’élaboration du schéma régional d’organisation des soins (SROS). Cette collaboration étroite entre ARS et SETD a alors abouti en juin 2009 à un consensus pour chaque SETD concernant ses équivalents temps plein (ETP) pour le maillage recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS)1 soit 1 ETP pour chaque profession : médecin, infirmier, psychologue et secrétaire. Par ailleurs, ce texte1 substituait, faut t-il le rappeler, la pluri-disciplinarité médicale (médecins de spécialité médicale différente)2,3à la pluriprofessionnalité en SETD. Cette pluriprofessionnalité [1] reconnaissait une place auxpsychologues notamment face à la pénurie de médecins psychiatres et instituait les conditions minimales d’une prise en charge bio-psycho-sociale de qualité pour les patients douloureux chroniques. Les SETD de la région Centre ont ainsi vu leur ETP psychologue passer progressivement et en moyenne de 0,5 à 1 en 2010. Un an plus tard une instruction nationale4 venait abroger le texte de 19983 en précisant que «le temps cumulé minimal en personnels non médicaux (IDE + psychologue + secrétaire) est de 1,5 ETP», soit 0,5 ETP (seuil minimal) pour les psychologues. Cette instruction venait donc remettre en cause le consensus régional élaboré au sein du SROS en entraînant, pour chaque établissement abritant une SETD, une diminution progressive de l’enveloppe MIG dédiée. Cette diminution a déjà eu comme conséquence pour les non-médicaux notamment psychologues et dans certains établissements, une diminution de l’ETP de 1 à 0,5 par SETD.
Enfin, la dernière circulaire concernant le calcul des financements MIG5 conditionne les ETP des psychologues en SETD au nombre de consultations médicales annuelles : «[...] de 500 à 1000 consultations médicales externes par an, le forfait de base proposé pour un fonctionnement satisfaisant est [. . .] pour le personnel non médical de 0,5 ETP de psychologue, 0,5 ETP d’infirmier et de 0,5 ETP de secrétaire [...]». Directement inspiré par le modèle de la tarification à l’activité (TAA) ce nouveau texte vient bien évidemment remettre en cause et profondément questionner les habitudes de travail des équipes soignantes et notamment leur approche bio-psycho-sociale du patient douloureux chronique. Nous allons voir comment en nous intéressant aux trois principales missions orientées vers les patients pour les psychologues des SETD : évaluation, psychothérapie et orientation. Nous replacerons une à une ces missions au coeur de la pratique pluriprofessionnelle du psychologue. Rappelons tout d’abord que les recommandations professionnelles de la HAS1 concernant l’évaluation du patient évoquent «[...] la recherche systématique des troubles anxieux, dépressifs ou des manifestations psychopathologiques induits ou associés [...]». Par sa formation initiale de haut niveau en psychopathologie le psychologue n’est t-il pas le professionnel le mieux placé pour répondre à cet impératif ? Les données de son évaluation participent ainsi à l’élaboration, également recommandée par la HAS1, d’un projet thérapeutique personnalisé. Prenons l’exemple d’une SETD où le médecin exerce sur 1 ETP avec un nombre de consultations médicales annuelles compris entre 1000 (seuil minimum pour bénéficier d’1 ETP médical) et 15005,6. Un paradoxe s’impose alors au psychologue : comment évaluer systématiquement, comme cela est mentionné dans le texte1, tous les patients rencontrés par le médecin maisavec un ETP inférieur à ce dernier ? Comment consulter les mêmes patients mais avec moitié moins de temps ? Cette dernière circulaire rend la systématisation de l’évaluation bio-psycho-sociale impossible à réaliser. Rappelons au passage que les patients douloureux chroniques présentent un parcours de soin et de vie particulièrement complexe. Cette complexité nécessite des temps de consultation en moyenne d’une heure avec chaque professionnel de la SETD. Une autre question se pose : c’est celle de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) en SETD. Certaines équipes ont en effet structuré leur réunion de concertation pluridisciplinaire en cercle EPP [2]. À partir des recommandations HAS1 il est possible de dégager des indicateurs de qualité sur la pratique courante en SETD comme par exemple le % d’évaluations pluridisciplinaires. Avec ce texte5 cet indicateur garde t-il de sa pertinence ? Faut t-il toujours le suivre et travailler à son amélioration avec des moyens en baisse ? Le psychologue collabore aussi activement au projet thérapeutique du patient par des compétences développées en psychothérapie. Nous retrouvons ici le paradoxe temporel évoqué plus haut. Certains répondront que ce paradoxe peut être levé à condition que le médecin augmente son nombre de consultations annuelles afin que le psychologue puisse bénéficier d’une augmentation de son ETP, ce que précise d’ailleurs la dernière instruction de novembre 20136. Selon cette instruction, les médecins de la SETD doivent ainsi réaliser un minimum de 2500 consultations médicales annuelles (correspondant à 2,2 ETP médical) pour obtenir 0,9 ETP de psychologue. Mais ce conditionnement de la pratique du psychologue à celle du médecin va-t-elle dans le sens d’une démédicalisation de problématiques psychopathologiques pourtant recommandée en douleur chronique ? Tous les patients douloureux chroniques doivent t-ils bénéficier d’un suivi médical rapproché notamment lorsqu’ils suivent une psychothérapie au sein de la SETD ? Des approches psychothérapeutiques telles que la thérapie comportementale et cognitive (TCC orientée douleur [3]), la relaxation ou l’hypnose ont bien démontré à ce jour leur intérêt dans le traitement de la douleur chronique [4]. D’après la métaanalyse récente de Morley et al. [5], les effets de la TCC sont clairement supérieurs aux traitements usuels et à l’absence de traitement (taille d’effet moyen) pour ce qui est de l’intensité douloureuse, la perception de la douleur, les stratégies de faire face (coping), l’humeur et le fonctionnement social. De même, ces approches orientées vers le développement du sentiment d’auto-efficacité personnel face à la douleur (croyance en sa propre capacité à mettre en place un ou des comportements donnés malgré le maintien de l’intensité douloureuse actuelle) facilitent l’autonomisation du patient dans la gestion de sa maladie ce qui contribue à la diminution des coûts médico-économiques notamment en termes d’hospitalisations et de consultations externes ...